Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Claude Bourrinet, cueilli sur Voxnr et consacré aux informations relatives à la volonté de Bernard Arnault d'acquérir la nationalité belge, manifestement pour échapper à l'impôt en France...
Bernart Arnault, Poutine et l'Etat
L’argent n’a ni patrie, ni odeur. En annonçant qu’il allait requérir la nationalité belge, Bernard Arnault semble confirmer cet adage, qui n’est pas sans fondement. Déjà, sous la Restauration, Stendhal dénonçait les banquiers, légitimistes ou républicains, qui finançaient la flotte d’Ali Pacha destinée à écraser l’insurrection grecque. Notre histoire donnerait maints occurrences de ces dérives antinationales ou antipopulaires d’une ploutocratie qui suit la logique du profit, d’autant mieux qu’il est particulièrement ardu de voir clair dans des stratégies financières qui demandent les vertus d’opacité, de roublardise, et d’entourloupe qui ne sont pas à la portée du premier perdreau, surtout s’il s’agit de vol de haute stratosphère, comme il s’avère avec le sieur Arnault, qui n’est pas devenu la quatrième fortune du monde, et la première d’Europe, pour rien. Si l’on prend la peine de lire sur Wikipedia l’épopée affairiste de cet artiste du fric, on a vite le tourni. Le monde de l’agent est une véritable usine à gaz, et il faut vraiment avoir le goût et le courage de s’y perdre pour s’y reconnaître.
Quoi qu’il en soit, tout puissant soit-il, et tout en lui consentant un grand talent, Bernard Arnault renferme des petitesses, voire des mesquineries, assez insolites pour qui a l’habitude de penser à l’échelle planétaire. On veut bien croire que désirer devenir belge, ce qui, en soi, ne constitue pas une honte, pour échapper à l’impôt, ou permettre, via Monaco, à ses héritier d’obtenir de plus grandes parts de gâteaux, n’est pas glorieux, du point de vue de l’homme du commun, qui ne comprend pas comment on peut être prisonnier d’une fortune aussi colossale . Combien de vies pour dépenser 41 milliards de dollars ? A cela, on rétorquera que, justement, l’homme du commun ne peut comprendre cette ivresse, cet orgueil, comme celui par exemple du seigneur, ou du paysan, attaché, contre toute raison, à sa terre. Certaines folies sont incompréhensibles pour celui qui n’en est pas. Ayons donc l’esprit large, et ne tombons pas dans le ressentiment des gauchistes haineux et curés mal fagotés, qui reprochent seulement aux puissants d’être puissants. Au fond, si les Anciens ont condamné l’amour de l’agent, l’avarice, c’est qu’il s’agissait d’une passion qui éloignait de la sagesse, et si Jésus, et après lui, l’Eglise, ont enjoint de choisir entre Dieu et Mammon, ce n’était pas parce que les riches en soi devaient finir automatiquement en enfer, et combien de « pauvres », faux riches si envieux, devraient connaître ce sort !, mais parce qu’ils étaient trop corrompus dans leur cœur et leur esprit pour se détacher suffisamment de leur avoir, et le mettre au service d’autrui.
Issu du patronat nordiste, si enclin au paternaliste, Bernard Arnault a très vite adopté les tares du capitalisme moderne. Son attitude présente connaît des antécédents, plus ou moins glorieux. Ami de Nicolas Sarkozy, des mains duquel il fut promu, le 14 juillet 2011, officier de la légion d’honneur, il est représentatif de ce patronat qui a pour Bernard Henri Levi, cette nullité, les yeux de Chimène, et a choisi, pour paraphraser Churchill, la voie du large, le grand large de l’Empire américain, bien sûr. C’est d’ailleurs aux Etats-Unis qu’il émigre en mai 81, durant trois ans. Craignait-il pour sa tête ? Sa propension à subventionner l’art dit « contemporain », véritable savon à vilains cosmopolite, potlatch qui donne un supplément « artistique » à une oligarchie internationale vide et avide, est l’un des signes de son attachement à une caste qui se contrefiche des racines et des identités.
Faut-il l’admirer comme un personnage balzacien ? Lorsqu’il berne Fabius en recevant, en 1984, 2 milliard de francs du gouvernement, contre la promesse de ne pas licencier les salariés du groupe Broussac dont il vient de s’emparer, il arrive à tirer les marrons du feu, en revendant les actifs les plus importants, ce qui occasionne une restructuration, le licenciement des malheureux, et, finalement l’injonction, de la part de la Commission européenne, en 1987, de rembourser une partie des sommes reçues, obligation qui ne concerne plus, dès lors, le sieur Arnault. Bien joué, l’artiste ! Les affaires, c’est comme la guerre, qui n’a rien à voir avec la morale ! Relisons sa déclaration du 14 décembre 1984, adressée à Fabius, qui fleure bon la tartuferie politicienne de haute volée : « J'assurerai personnellement la direction de la DBSF et je procéderai à la mise en œuvre du plan industriel et social tel qu'il a été communiqué aux administrations ». Ni plus, ni moins. Il oublait de dire qu’il ne garderait pas longtemps la dite direction…
Quoi qu’il en soit, les ténors de l’UMP peuvent crier leur indignation, et accuser Hollande de stupidité, eux qui avaient, par le bouclier fiscal, bloqué le taux d’imposition des plus riches à 50% maximum. Qui est stupide ? Est-il intelligent de laisser agir le bandit ? Imaginons que l’on donne le droit au renard de manger dix poules dans le poulailler, et que tout à coup, vous rectifiiez cette permission à la baisse, sans avoir un droit de regard sur le poulailler du voisin, qui octroie le droit de trucider douze poules… Vous allez dire que ce n’est là qu’un raisonnement par l’absurde, car il est improbable qu’un fermier abandonne ses poules à un prédateur. Et pourtant…
Nous savons très bien, en effet, combien la Commission de Bruxelles possède un talent certain pour veiller à tout ce qui touche notre vie. Les règlements tatillons ne manquent pas, et quand on ne passe pas à la caisse, c’est notre existence qui est mise en boîte. Les lois et décrets qui instaurent le libéralisme le plus dogmatique ont aussi cours, sans que les parlements nationaux aient leur mot à dire. Et la tendance lourde de cet appareil législative s’oriente toujours dans le sens du moins disant social, vers la déréglementation, la dénationalisation, et l’aggravation de la condition des salariés. De ce côté-là règne une homogénéisation merveilleuse, qu’accentuera l’adoption de la fameuse « règle d’or » des 3%. En revanche, les règles fiscales, les passe-droits, les ponts dorés en direction des paradis fiscaux sont, en Belgique, au Luxembourg, à Monaco etc. (sans parler des facilités pour blanchir l’argent sale) à la dispositions des gens de fric. L’Europe est devenue un immense poulailler où le renard est libre comme l’air. Lui seul détient la liberté réelle, celle d’entrer, de sortir son avoir, de miser comme il veut, de subtiliser son magot, sa fortune, tandis que les peuples n’ont que cette liberté fallacieuse de se vendre, si l’on veut bien d’eux.
D’où vient cette richesse ? N’y a-t-il pas un devoir moral, sinon civique, de rendre au pays ce qu’on lui a soutiré ? Le riche échappe-t-il à cette grande famille qu’est la patrie ?
Encore une fois, la Russie de Poutine s’offre à nous comme modèle. Ceux que l’on a appelés les « oligarques », et qui mériteraient mieux le titre de « ploutocrates », les Khodorkhovski, qui mettaient en coupe réglée un pays livré, sous Eltsine, à l’anarchie et au vol, ont été matés par Poutine. Ce dernier ne les a pas tous fait condamner. Ceux qui croupissent en prison, notamment certains du groupe Ioukos, n’ont que ce qu’ils méritent. Ils imposaient en effet leur loi à l’Etat. Maintenant, c’est l’inverse et les choses ont vraiment changé au moment des législatives en 1999, et lors de la première campagne présidentielle de Vladimir Poutine. A la fin 2000, le Président a convoqué les principaux oligarques les plus riches de Russie et leur a proposé le contrat suivant :
« Vous ne vous mêlez plus de politique, vous payez vos impôts et nous vous laissons faire vos affaires tranquilles. » Sous entendu, vous êtes patriotes, sinon couic !
Ainsi l’Etat devrait-il agir avec les milliardaires qui se croient au-dessus de tout, et singulièrement de leur propre pays : « Vous faites vos affaires, vous remplissez vos devoirs, et rien de plus. »
Encore faudrait-il rompre avec la logique mondialiste et financière. Ce n’est pas une autre histoire, c’est la même…Claude Bourrinet (Voxnr, 9 septembre 2012)